A qui profite le crime ?
Le projet du Soleil d'Orient voit le jour | ||
Le 1er novembre 1681, une date qui ne fait cependant pas l’unanimité chez les historiens, l’un des plus fabuleux navires de la Marine française, le Soleil d’Orient, disparaissait dans l’Océan Indien après avoir quitté l’Ile Bourbon, à proximité de Madagascar. Jean-Baptiste Colbert, surintendant de Louis XIV, ministre des Finances, de la Marine et fondateur de la Compagnie des Indes orientales française (1664) Le Soleil d'Orient est le plus grand bateau de l'époque construit par la Marine française. L’histoire de ce vaisseau de 1.000 tonneaux (unité de jauge équivalant à 2,83m3), 60 canons et de son équipage de « 300 hommes auxquels il sera par nous pourvu d’un capitaine, lieutenant, enseigne et commissaire pour en avoir soin[1]», est liée à la fondation par Colbert de la Compagnie des Indes Orientales (CIO) en 1664, à la naissance de la ville de Lorient en 1666, au commerce maritime et à la diplomatie française en Asie. Notons que ce sont les mêmes officiers et les mêmes matelots qui devront rester attachés au Soleil d’Orient.[2] Si l’histoire du Soleil d’Orient est exceptionnelle, sa disparition demeure une énigme et souleva beaucoup d’émotion. Nous tenterons, après avoir retracé son histoire; de faire le point sur l’avancée des différentes pistes de recherche concernant la localisation de son épave, les circonstances de sa disparition et de son précieux butin, constitué des cadeaux de Phra NaraÏ, roi de Siam, à Louis XIV, et évalué à 18 millions d'euros. Pour retrouver une épave, la démarche la plus profitable, celle qui permet de circonscrire au mieux la disparition du Soleil d'Orient, reste de celle de l'enquête policière, libre de tout préjugé et prête à envisager toute piste que la moindre raison pourrait nous inciter à suivre. Nécessité pour Colbert de fonder la Compagnie des Indes Orientales Colbert, conseiller, le surintendant et le Ministre de l’économie, des Finances, est aussi ministre de la Marine de Louis XIV. De lui, Louis XIV dira « Colbert était un homme en qui j’avais toute la confiance possible, parce que je savais qu’il avait beaucoup d’application, d’intelligence et de probité[3] ».Colbert souhaite fortement réaliser une implantation française en Asie. Une présence française aura pour conséquences des avantages commerciaux et territoriaux, et des relations diplomatiques sources d’expansion économique, politique et militaire, ainsi que de prestige. Sur ces bases, Colbert fonde la Compagnie des Indes Orientales (CIO) par une déclaration en 45 articles (août 1664). Celle-ci succède à la Compagnie des Moluques, fondée par Richelieu en 1615, qui détenait déjà le monopole du commerce avec l’Asie. La CIO est une compagnie à chartes, statut alors courant pour des compagnies semblables, telles l'English Indian Company (EIC) et la Verenigde Oost-Indische Compagnie (VOC), dans plusieurs pays d’Europe. « Elle reçoit du pouvoir différents privilèges pour l’exercice du commerce vers des contrées lointaines et parfois inconnues, le monopole du commerce et de la navigation pour 50 années et la propriété de toutes terres, places et îles qu’elle pourrait conquérir sur ses ennemis ou parce que vacantes ou inoccupées par des barbares. Elle lui permettait d’envoyer des ambassadeurs au nom du roi près des potentats des Indes, de traiter avec eux de la paix, de la guerre ou même déclarer la guerre [4]». Un des principaux privilèges de ces compagnies est le monopole des échanges commerciaux. Colbert est bien conscient que le commerce ne pourra se développer qu’avec la mise à disposition d’un capital important, un monopole commercial, l’appui matériel de l’Etat et des défenses militaires. Or, à cette époque, la France, si elle a pour alliée l’Angleterre républicaine de Cromwell, est en guerre contre le reste de l’Europe. Par ailleurs, elle rivalise commercialement avec l'Angleterre outre-mer. Sans défenses militaires déployées dans ses comptoirs, il lui est difficile d’affirmer sa puissance ultramarine. C’est pourquoi la CIO n’atteindra pas le niveau de prospérité des compagnies à charte étrangères. Les puissances européennes détentrices de comptoirs ou de concessions en Asie (Portugal, Pays-Bas, Angleterre, Espagne, Danemark) ne voient pas toujours d’un bon œil la présence de la France en Asie du Sud-Est et sur le subcontinent indien, et tentent de contrarier son installation dans cette région du monde. Colbert répond à ce désagrément par une attitude de de mercantiliste éclairé. Il expose, en 1666, son système à Terron et à Seuil dans les termes suivants : « il est nécessaire d’observer soigneusement, pour les achats à faire des marchandises, qu’il faut toujours acheter en France, préférablement aux pays étrangers, quand même les marchandises seraient un peu moins bonnes et un peu plus chères, parce que, l’argent ne sortant pas du Royaume, c’est un double avantage à l’Etat en ce que, demeurant, il ne s’appauvrit point, et les sujets du roi gagnent leur vie et excitent leur industrie [5]» . Indes orientales et Indes occidentales Le rayon d'action de la compagnie des Indes Orientales s’étend à l’est de la côte orientale de l’Afrique. Elle inclut notamment Madagascar, l’Ile Bourbon (La Réunion), les îles Mascareignes, l’Inde et pousse même jusqu’au comptoir français de Canton, en Chine. Colbert fait faire l’inventaire des vaisseaux et de leur usage ordinaire ou potentiel. A la suite de cet inventaire, lors de la première séance du Conseil de Commerce, Colbert peut déclarer que « la France n’avait pas, présentement, 200 vaisseaux raisonnables dans leurs ports, alors que les Hollandais en avaient 16.000 [6]» en 1658 ! De l'exiguïté du Port-Louis à la naissance de Lorient Il importe, pour Colbert, de trouver un site protégé et assez vaste sur lequel seront construits les bateaux. Des commissaires parcourent les côtes de Dunkerque à Marseille, afin de désigner le chantier qui accueillera la construction navale de la CIO. Celle-ci est créée au Havre en 1664, mais pour des raisons de sécurité, Colbert la déplace sur la rade du Port-Louis (Morbihan), nom donné au port de Blavet en l'honneur de Louis XIII. Cet endroit est protégé naturellement par l’île de Groix et par la citadelle de Vauban. Mais le Port-Louis est trop exigu pour la construction simultanée de plusieurs vaisseaux de la CIO. Aussi, un chantier naval est installé dans une zone de friche plus étendue nommée Le Faouëdic, située en amont de Port-Louis, et plutôt à l'abri des vents grâce à son emplacement derrière l'île de Groix. La Citadelle de Port-Louis On pourrait croire que l'installation de la CIO dans ces terres désignées "vaines et vagues"[7] par l'ordonnance royale de juin 1666 serait facile. Il n'en fut rien. Elles n'étaient ni vaines, ni vagues puisqu'elles appartenaient à environ 300 propriétaires. "Après de longues tergiversations, Denis Langlois, l'un des directeurs de la CIO, entre, le 31 août 1666, en possession de la baie de Roshellec et verse une indemnité aux propriétaires dépossédés". C’est alors que la CIO peut développer sur ce terrain son premier chantier de construction. « Au départ, on ne compte que quelques hangars et ateliers, ainsi que des cabanes pour loger les ouvriers. Mais très vite, le site prend de l’importance : on construit des bâtiments en dur, des magasins pour recevoir les marchandises, des logements pour le personnel et les équipages. Un nouveau quartier voit le jour : le parc, où vivent les notables et le directeur de la Compagnie en personne[8]. » Les premiers navires à y être construits sont deux frégates et un vaisseau, le Soleil d’Orient. Les habitants, qui prennent l’habitude d’aller voir l’avancement de la construction du Soleil d’Orient, disent, par simplification, se rendre à L’Orient. Ils donneront ainsi, sans le vouloir, un nom à cette ville nouvelle : Lorient. Le premier vaisseau à y être construit est le Soleil d’Orient. En 1666, soit deux ans seulement après la fondation de la Compagnie des Indes orientales française, un décret du Roi crée la ville de Lorient. Ses armoiries seront fixées en 1744. On peut y voir un soleil. Celui-ci symbolise le Soleil d’Orient. La construction du Soleil d’Orient et des autres navires de la CIO à Lorient[9] eut un retentissement considérable sur le développement démographique, stratégique et portuaire de la ville. Dénommée « la ville aux cinq ports » (militaire, pèche, plaisance, commerce et touristique) et aujourd’hui 1er port de pêche français en valeur et 2è en tonnage derrière Boulogne, Lorient est également le 1er port de commerce breton et fut la plus importante base sous-marine construite par les Allemands au cours de la Seconde Guerre mondiale. Pour la construction du Soleil d'Orient, Louis XIV a accordé sa confiance à un Hollandais dénommé Looman[10]. | ||
Looman : un personnage qui interpelle |
Pourquoi avoir fait appel au maître-charpentier hollandais Looman ? Voilà une curieuse idée a priori, car la France et les Pays-Bas sont alors en guerre. Certes, Louis XIV a l'habitude de faire construire ses bateaux à Amsterdam, car leur construction y coûte deux fois moins cher qu'en France[1], et Louis XIV a besoin d'argent pour financer ses guerres. Les bateaux français sont souvent retenus plusieurs mois, voire désarmés, avant de reprendre le large, après qu'ils se soient engagés à ne pas utiliser leurs armements dans le cadre de la guerre franco-néerlandaise. Tel fut le cas du Saint-Louis (1670). Pour éviter ces écueils, Louis XIV, conscient du génie hollandais en matière de construction de bateaux et de maîtrise des techniques liées à la mer, décide de faire confiance à un maître-charpentier des Provinces-Unies dénommé Looman. Interrogations autour du maître-charpentier Nous savons peu sur Looman. Colbert a-t-il eu écho de son génie et d'une brouille de Looman avec la Couronne hollandaise ? A-t-il conseillé à Louis XIV d'en profiter, en le faisant venir pour construire le bateau à L'Orient ? Une manière de contrôler le maître-charpentier était de faire venir Looman en France et de l'entourer de collaborateurs français. A l'inverse, la candidature de Looman a pu être mandatée par le gouvernement des Pays-Bas, conscients eux aussi de son génie, afin de fragiliser la construction du Soleil d'Orient en créant des failles imperceptibles dans ce bateau si cher à Louis XIV, qui l'amèneraient à de graves défaillances en mer, l'obligeraient à de lourdes réparations et amenuiseraient la marge de manœuvre financière et militaire du roi de France face aux Pays-Bas. Il est vraisemblable, cependant, que Colbert a tenu compte des observations de Richelieu portées du temps de la Compagnie des Moluques : il faut remédier aux « pertes et ruines arrivées dans les havres du Roi de quantité de navires de Sa Majesté bâtis en ce royaume pour servir à la guerre, qui, faute d’avoir été bien liés et bien construits, se sont perdus et ouverts de leur propre poids, sans naviguer, ou se sont ouverts à la mer, avec pertes d’hommes et de marchandises, parce que leur fabrique et liaison n’étaient point en guerre, ce qui a provoqué du manquement de science et pratique de ceux qui en ont fait la construction[2]. » Il trouve une réponse à ce problème en proposant, dans son Règlement de la marine de 1631, l’appel à « deux maîtres-charpentiers, comme anglais et flamands, bien expérimentés en tels ouvrages, pour donner leurs avis et résoudre par ledit conseil de la façon dont lesdits navires devront être bâtis[3]. » Un génie hollandais dans une marine française en quête de ses repères Ce n'était pas la première fois que la France faisait appel au savoir-faire hollandais[4]. Recruter un maître-charpentier pour la construction de cette pièce maîtresse de la marine française qu’est le Soleil d’Orient représentait cependant un gros risque, surtout en période de guerre contre les Pays-Bas. En effet, les tâches assignées à un maître-charpentier pour la construction et la solidité du bateau sont des tâches de confiance et autonomes. Le règlement du 16 septembre 1673, dans le Code des Armées navales, n’impose pas de plan-type pour un bateau. « Les maîtres-charpentiers de ce temps doivent posséder au moins la pratique de leur métier[5] ; Terron juge que « ce ne sont que des paysans incapables de direction et de commandement[6]. » « Les maîtres-charpentiers et les maîtres d’autres professions ouvrières constituent dès cette époque une sorte de hiérarchie parallèle sous l’intendant, sur le plan technique, tout au moins [7]». Par conséquent, le contrôle du maître-charpentier n’est pas clairement établi : « le maître-voilier a son mot à dire lors des carénages. Le premier maître-charpentier donne son avis sur le travail une fois celui-ci terminé, le maître-califat le surveille, mais qui l’a dirigé ? On peut imaginer qu’un maître-charpentier a été é désigné par le capitaine et le premier de maître-charpentier, qui lui ont fourni les ouvriers nécessaires[8] ». « Le maître-charpentier trace alors en vraie grandeur, dans la salle de traçage, les couples, en commençant par le maître-couple et la quille, puis l’étrave et l’étambot »[9]. « Les maîtres tendent à considérer leur collection de gabarits et leur savoir-faire comme une propriété privée et comme autant de secrets [10]». « Pendant longtemps, on a travaillé sans plan, et c’est un usage contraire à celui de l’architecture civile [11]» Le maître-charpentier chargé de construire un vaisseau « établit un modèle en bois et un plan en coupe perpendiculaire, avec une coupe horizontale, et ces modèles et plans seront mis en dépôt entre les mains du contrôleur pour y avoir recours lorsqu’on voudra bâtir de pareils [12]» En recourant à un Hollandais, Colbert réduisait considérablement le délai de construction d’un navire: « je suis surpris que vous me mandiez que l’on ne peut faire bâtir que cinq vaisseaux en deux ans dans le port de Toulon. Il est certain que les Hollandais se moquent de nous de ce que l’on apporte tant de longueur dans nos constructions. Il ne tombe guère sous le sens qu’ayant tant de bons maîtres que vous en avez, vous n’ayez pu avoir jusqu’ici les charpentiers de hache nécessaires[13] ». « Très considéré, le maître-charpentier est la « maître de la hache », de l’herminette, de la scie, de la tarière et de la bisaiguë…Tout dépend de lui en cas d’accident. Démâtage, vergues brisées ? Il dirige la manœuvre de mise à poste des espars de rechange…Si le bateau a heurté une épave ou un récif, il répare tout aussi bien bordés, membrures et vaigrages brisés ou en retaille au besoin. Il règne aussi sur la tonnellerie…l’eau potable, le vin ou le précieux tafia…Le charpentier est souvent un ancien matelot qui a pris goût au travail du bois et prouvé son habileté ou un fils de charpentier formé sur un chantier de construction navale[14] ». Doit-on y voir une méfiance de la part de Colbert à l’égard de Looman, aucun navire ne sera construit à L’Orient[15] de 1675 à 1684. Dans cette période, 14 navires partirent aux Indes, mais 6 seulement du Port-Louis. Les autres furent armés à Brest, au Havre, à Saint Malô ou à Nantes[16]. |
Ceci est un article d'événement, utilisé pour écrire et énumérer les futurs événements sur votre site Web. Vous pouvez modifier tout ce texte à partir de l'onglet Pages en cliquant sur le bouton Modifier.
Ceci est un article d'événement, utilisé pour écrire et énumérer les futurs événements sur votre site Web. Vous pouvez modifier tout ce texte à partir de l'onglet Pages en cliquant sur le bouton Modifier.
Ceci est un article d'événement, utilisé pour écrire et énumérer les futurs événements sur votre site Web. Vous pouvez modifier tout ce texte à partir de l'onglet Pages en cliquant sur le bouton Modifier.